La coopérative enfile ses bottes de scène entre théâtre, danse et musique
Article de Francesca Brunone et Karim Hadj Sassi, étudiants Erasmus – Université d’Avignon
En mettant de côté l’égo de l’artiste, Motra s’engage à exploiter toutes les possibilités pour créer une collaboration harmonieuse entre les trois disciplines, racontant ainsi la réalité du conflit à travers la manipulation des corps pour jouer sur l’accord G(uerre) major.1
Dans l’arène artistique, où les combats se livrent avec les mots et les mouvements, il existe des batailles qui vont bien au-delà des simples performances. Parmi elles, il y a celle de représenter la guerre sur scène, un conflit d’une intensité inouïe qui exige une stratégie aussi bien théâtrale que chorégraphique. C’est dans le théâtre des opérations du stage “Danser la Guerre” que se déploient les forces vives de Nikson Pitaqaj, metteur en scène de la compagnie Libre d’Esprit, Kiin Ma-Sellu, commandant chorégraphe de renom et Léonard Cavadini, compositeur et musicien.
THIS IS THE RHYTHM OF THE FIGHT
Le rythme, pivot essentiel de la musique, la danse et le théâtre pulse au cœur de la méthode de Nikson, Léonard et Kiin. Leur approche transcende le simple chaos de la guerre pour révéler sa nature technique et stratégique, comme l’a souligné une citation marquante lors d’une séance de création collective : “La guerre, ce n’est pas le chaos, c’est la guerre.”En sortant de leur zone de confort, les acteurs s’engagent dans une sorte de front, où ils appliquent une tactique pour rendre vivant ce qu’ils ont à l’intérieur. La méthode de Nikson, Léonard et Kiin est loin de quelque chose de fabriqué. Ils les encouragent à lâcher prise, à laisser venir l’émotion et l’intention avec sincérité.
Cette approche directe vise à créer une performance d’une précision fluide, qui gagne en expressivité au fil du temps en s’épurant à travers la concrétisation de l’inconscient. Nikson lui-même exprime cette humilité lorsqu’il dit : “Je suis assez égoïste. Je travaille à partir de moi, je ne travaille pas sur ce que je veux voir mais sur la recherche de l’inconscient.” Vivre cette expérience, c’est rendre réelle la fiction, trouver un langage commun où la musique, la danse et le théâtre se fondent en une seule matière. Le rythme, dans cette approche, devient la clé de voûte de la gestion du temps dans les trois disciplines à travers le langage corporel et sa capacité à devenir un instrument scénique et musical.
DES COEURS QUI BATTENT LA CHAMADE
Dans la symphonie de leur collaboration, Nikson, Léonard et Kiin se rejoignent comme dans une jam session2 théâtrale, où les échos de leurs expériences résonnent comme autant de notes improvisées. Chacun apporte sa mélodie personnelle, forgée dans les rues de la vie, plutôt que dans des grandes écoles, où l’apprentissage se fait au gré des rencontres et des défis.
Pour Nikson, originaire du Kosovo et réfugié de guerre en France, ce n’est pas seulement un sujet, mais une réalité qui a profondément marqué son être. Il ne cherche pas à véhiculer un message, mais plutôt à exorciser la douleur qu’il a vécu. La scène devient un lieu de catharsis, où les cicatrices qui lui ont touché le cœur et le corps se transforment en expressions artistiques empreintes de vérité et d’authenticité. À l’image de Léonard, la musique n’est pas seulement une mélodie, mais une arme anti conflit. Ses accords résonnent comme des appels à la paix, des murmures d’espoir dans un monde tourmenté où la violence n’est pas inévitable. Il ne s’engage pas tant à dénoncer un conflit spécifique que l’inhumanité et l’inutilité de toute guerre, qu’il considère comme un moyen pour certains de parvenir à leurs fins, qu’ils soient politiques ou personnelles.
Quant à Kiin, bien qu’il n’ait pas vécu la guerre de manière directe, il la comprend comme un conflit à différentes échelles. Il voit la confrontation comme quelque chose de très concret, où les corps s’affrontent et où les luttes intérieures se manifestent de manière extérieure à travers des énergies, comme dans le cas des hip-hop battles3.
Sur scène, une démocratie s’installe, offrant un espace libérateur, égalitaire et fraternel. Chacun partage le même temps, le même public, où les succès et les échecs sont vécus sans distinction. Cette égalité résonne avec l’humilité des artistes : plutôt que d’agir, ils réagissent en fonction de ce qu’ils voient. Leur objectif n’est pas d’avoir des exécutants, mais des acteurs qui bougent. Leur engagement à partager leurs expériences avec simplicité et humilité témoigne du désir de créer un espace où toutes les voix peuvent être entendues et tous les murs peuvent être abattus, notamment le quatrième, permettant au public de “rentrer dans la danse”.
Ce fût une soirée exceptionnelle qui a permis aux spectateurs de « changer votre fusil d’épaule » sur les réalités de la guerre.
Un moment artistique inoubliable
- G major: la tonalité de sol majeur en anglais. ↩︎
- Jam session: une séance musicale improvisée, à laquelle peuvent se joindre différents musiciens. ↩︎
- Hip-hop battles: des compétitions où des artistes s’affrontent dans des performances musicales ou de danse, démontrant leurs compétences et leur créativité devant un public et des juges. ↩︎